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9 août 2012 4 09 /08 /août /2012 23:35

Depuis plusieurs semaines, on ne compte plus le nombre de manifestations en Espagne, au Japon, en Israël ou encore au Québec. Vaste territoire habité par 120 millions de personnes, le Mexique fait aussi partie de ces pays en révolte. En effet, de Cancún à Guadalajara en passant par l'État du Yucatán, Mexico, et même les capitales étrangères, les manifestations se multiplient depuis le début du mois de juillet. La « Méga marche pour une démocratie authentique » du 22 juillet a réuni plus de 100 000 personnes dans le centre-ville de Mexico. Largement minimisées, voire ignorées par la plupart des médias occidentaux, ces protestations de masse contre la victoire d'Enrique Peña Nieto à l'élection présidentielle du 1er juillet ne sont pas prêtes de faiblir d'ici au 1er décembre prochain, date à laquelle Enrique Peña Nieto sera officiellement investi si le Tribunal électoral fédéral valide l'élection malgré les multiples preuves de fraude.

L'élection présidentielle du 1er juillet 2012 a vite été contestée par une grande partie de la population mexicaine. Ce qui est sûr, c'est qu'elle a mis fin à douze années de règne du Parti d'action nationale (PAN, droite) en plaçant sa candidate, Josefina Vázquez Mota, à la troisième place avec 25.4% des voix. La controverse a donc porté sur le résultat d'Enrique Peña Nieto, le candidat du Parti révolutionnaire institutionnel (étrange oxymore soit dit en passant), qui aurait remporté cette élection avec 38.14% des voix, soit près de 7 points de plus que son adversaire du Parti de la révolution démocratique (PRD, gauche), Andrés Manuel López Obrador. Quelques heures après l'annonce des résultats officiels, López Obrador les a qualifiés de « frauduleux » et a demandé un recomptage des voix. Loin de ramener le calme après une campagne électorale agitée, notamment par les enjeux de sécurité intérieure, l'annonce des résultats fut l'élément déclencheur de mouvements sociaux de masse pour la défense de la démocratie.

« No a la imposicion ! »

Les élections de 2012 ne sont pas les premières à pousser les Mexicains dans les rues contre ce qu'ils appellent « l'imposition » du candidat de tel ou tel grand parti politique lié à l'oligarchie mexicaine. En 1988 déjà, le PRI et son candidat Carlos Salinas de Gortari avaient miraculeusement remporté les élections face à Cuauhtémoc Cárdenas, fondateur du PRD, après une « défaillance » du système informatique alors que celui-ci s'apprêtait à mettre fin à cinquante-neuf ans de mainmise du PRI sur la présidence. Les élections de 2006 ont constitué un autre cas de fraude aussi flagrant. Alors que l'oligarchie avait aisément supporté la victoire du PAN en 2000, après plus de soixante-dix années de règne du PRI, il lui était insupportable de laisser gagner López Obrador lors des élections de 2006. Ce dernier menaçait en effet ses privilèges puisqu'il voulait mettre en œuvre des politiques en faveur des pauvres. Alors que López Obrador était bien parti pour gagner les élections, la tendance s'est finalement inversée en faveur de Calderón (PAN), qui a gagné avec une avance de 0.56 point ! Cette grossière tricherie a provoqué l'insurrection de toute la gauche qui a bloqué le centre de Mexico pendant six semaines pour faire annuler l'élection, en vain.

Une campagne électorale corrompue par les médias

S'agissant des élections de 2012, la violation de la démocratie a commencé dès le début de la campagne électorale. Le principal problème ? L'attitude antidémocratique des médias dominants, et en particulier du duopole des chaînes privées Televisa et Azteca. Une enquête du quotidien britannique The Guardian a révélé que Televisa avait perçu d'importantes sommes de la part du PRI pour lui donner une image « nouvelle » et faire oublier de longues décennies calamiteuses au pouvoir. On comprend mieux l'évidente partialité de la chaîne à son égard, celle-ci n'hésitant pas à se positionner constamment en sa faveur et à relayer de fausses informations au sujet de López Obrador, quand il ne s'agissait pas de l'accuser de « populiste » ou de vouloir imposer le modèle cubain au Mexique.
En plus de ses sommes importantes versées à la chaîne, Peña Nieto avait tout pour plaire aux élites économiques mexicaines et aux médias : homme jeune au mariage médiatisé avec une actrice de Telenovela, béni par le Pape à Rome, gouverneur de l'État de Mexico jusqu'en 2011, candidat d'un parti centriste appartenant à l'Internationale socialiste et qui fait sienne l'idéologie néolibérale, Peña Nieto représentait le seul capable d'empêcher López Obrador d'accéder au pouvoir, le PAN étant largement discrédité après douze ans d'échecs au pouvoir (et notamment à propos de la « guerre contre le trafic de drogues » qui a fait plus de 60 000 morts ces cinq dernières années).

Cette confiscation du débat démocratique par les médias a vite été contestée par les étudiants du mouvement « # Yo soy 132 » (« Je suis le 132e »). Celui-ci s'est formé le 11 mai dernier à l'occasion d'une manifestation organisée contre la venue de Peña Nieto à l'Université ibéroaméricaine de Mexico et contre le duopole médiatique. Le nom même du mouvement provient d'une vague de solidarité à l'égard d'une vidéo où cent trente et un manifestants présentaient leurs cartes d'étudiant en réponse au mensonge de Peña Nieto qui les avait qualifiés de « faux étudiants ». Chaque nouveau soutien se présentait alors comme étant le « 132e ». Le mouvement, qui s'est allié avec les mobilisations étudiantes québécoises et chiliennes, fut rapidement rejoint par des étudiants d'universités publiques et privées. Ces jeunes issus principalement de la classe moyenne ont tenté, avec un certain succès, de répéter le « printemps arabe » (selon leurs propres mots) en organisant notamment des occupations de places. La jeunesse mexicaine a d'ailleurs réussi à ébranler sérieusement le duopole de l'information grâce aux réseaux sociaux. Même si le mouvement n'a pas directement soutenu López Obrador, il a clairement appelé à battre le candidat du PRI et s'est directement mobilisé après les résultats pour recueillir suffisamment de preuves d'une fraude massive afin de faire invalider les élections. Par ailleurs, « # Yo soy 132 » s'est attiré la sympathie de toutes les catégories opprimées (à l'instar des ouvriers et des homosexuels), renforçant ainsi sa légitimité.

Un PRI converti à la démocratie après tant d'années de dictature ?

Dans la droite ligne de son parti qui contrôle la moitié des États mexicains et dont les méthodes de voyous sont aujourd'hui de notoriété publique (après l'organisation systématique de fraudes électorales durant le 20e siècle, quand le président n'était pas désigné par son prédécesseur), Peña Nieto fait l'objet de multiples accusations de violation de la loi électorale de la part de « # Yo soy 132 » et de López Obrador. Ce dernier a d'abord réuni les preuves que le PRI a dépensé entre dix et treize fois plus que montant limite légal de campagne. De plus, il accuse le PRI d'avoir directement acheté cinq millions de voix, ce qui fausserait totalement les résultats des élections puisque son avance officielle n'est que de trois millions de voix. Si l'on en croit les recomptes citoyens effectués par le site « YoSoyAntiFraude » (« Je suis contre la fraude »), les scores de deux candidats seraient pratiquement inversés, à savoir 38.8% pour M. López Obrador et 32.3% pour Peña Nieto ! L'équipe de López Obrador a réuni des documents prouvant que tout cet argent, suspecté de provenir du trafic de drogues, a été transféré entre des entreprises de façade pour acheter des cartes de débit prépayées, d'une valeur totale de 108 millions de pesos (6.7 millions d'euros). Ces fameuses cartes de débit prépayées sont une des principales sources d'indignation des citoyens mexicains, car elles corrompent le vote : distribuées par milliers dans des circonscriptions très pauvres, elles ne sont activées qu'en cas de victoire et permettent d'acheter dans les supermarchés de la chaîne Soriana, laquelle a d'ailleurs maladroitement conservé la ligne « PRI » sur ses tickets de caisse. « YoSoyAntiFraude » a également regroupé des cas de fraude informatique (quand la personne chargée d'entrer les résultats du bureau de vote les modifie grossièrement). Enfin, le seul droit de vote de nombreux citoyens a été violé de multiples façons : assignation dans un bureau de vote lointain de l'habituel, décision officielle de mettre à la disposition des électeurs dans l'isoloir des crayons à papier pour qu'ils cochent le nom de leur candidat, intimidations et violences physiques. Les preuves de fraude ne manquent donc pas. D'ailleurs, López Obrador a envoyé le 17 juillet dernier une contestation judiciaire réclamant l'annulation de l'élection présidentielle au deuxième plus haut tribunal électoral du Mexique, le Tribunal électoral fédéral.

Des intérêts particuliers inconciliables avec la volonté générale

Pour l'instant, il est difficile de dire quel sera l'aboutissement de la procédure, d'autant plus qu'en cas d'annulation, l'oligarchie mexicaine aurait trop à perdre. Car c'est là que se situe l'enjeu principal : la classe dirigeante mexicaine, qui a tiré tant de profits des politiques néolibérales et de la prétendue « guerre contre le trafic de drogue », peut-elle s'incliner devant la souveraineté populaire ? López Obrador, bien que plus modéré que ses camarades socialistes sud-américains Hugo Chávez et Rafael Correa, veut tout de même rompre avec les politiques néolibérales menées par le PRI et le PAN depuis plusieurs décennies. Il est très populaire dans les classes les moins favorisées des zones rurales ou urbaines marginalisées. En 2012 il a aussi obtenu le soutien des petites et moyennes entreprises et des commerçants qui souffrent terriblement des monopoles privés qui dominent le pays depuis la vague de privatisations. Il n'est alors pas étonnant que l'oligarchie mexicaine fasse tout pour propulser Peña Nieto au pouvoir, lui qui a promis de continuer les politiques de libéralisation économiques de la droite qui ont accru les inégalités et la pauvreté, le Mexique étant devenu le second pays le plus inégalitaire de l'OCDE et habité par 52 millions de personnes (46% de la population) vivant officiellement sous le seuil de pauvreté.

Peña Nieto, candidat officiel des Etats-Unis

Comme souvent lorsqu'il s'agit d'élections en Amérique latine, les intérêts des États-Unis sont portés par le candidat de l'oligarchie. Les enjeux sont à peu près les mêmes à chaque fois : d'une part, le contrôle du commerce continental et des ressources pétrolières, et d'autre part, la militarisation du continent pour assurer une hypocrite « guerre contre le trafic de drogue » initiée par George W. Bush et pérennisée par Barack Obama. Cette « guerre contre le trafic de drogue » peut être qualifiée « d'hypocrite », car les États-Unis n'ont aucun intérêt à l'arrêter, bien au contraire. Selon le rapport d'une commission de l'ONU contre les drogues et le crime, la grande majorité de l'argent du trafic de drogues est blanchi par les six plus grandes banques des États-Unis. De plus, le trafic de drogues est vital pour leur politique étrangère puisqu'ils l'utilisent comme prétexte pour déstabiliser le continent puis y créer des bases militaires partout. C'est exactement ce qu'ils font en Amérique centrale et plus précisément au Mexique depuis plus de cinq ans, notamment via l'"Initiative de Mérida" initiée par l'administration Bush en 2007 puis prolongée par l'administration Obama dans le cadre de la campagne des Etats-Unis contre le trafic de drogues. Censée être un plan d'aide de près de 2 milliards de dollars, l'initiative ne profite que très peu aux pays bénéficiaires. En effet, la grande majorité des fonds ne sortent même pas des Etats-Unis puisqu'ils permettent de financer l'entretien, la modernisation et l'accroissement de leurs forces militaires sur place. Peña Nieto a bien compris ces enjeux puisqu'il compte renforcer l'ALENA et la militarisation du pays avec l'aide des États-Unis. On saisit donc bien pourquoi ces derniers n'ont pas intérêt à ce que le Mexique bascule dans le camp anti-impérialiste avec l'arrivée de López Obrador à sa tête.

C'est parce que « #Yo Soy 132 » n'hésite à poser ouvertement les problèmes structurels du pays que sont la pauvreté, la corruption, le capitalisme mafieux, la violence effrénée, la récession économique, le contrôle de l'information et l'indépendance nationale, qu'il retire chaque jour de la résignation habituelle des milliers de citoyens de tous les milieux sociaux et que la mobilisation sociale ne semble pas arriver à sa fin ; chose que la classe dirigeante mexicaine était loin d'anticiper.

 

Sarah MASSON

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